Dans le cadre des Cinquièmes journées de la justice pénale internationale j’animerai une table ronde qui s’inscrit dans le cadre de mon projet à l’Institut Universitaire de France «Autour d’une théorie démocratique du droit international».

La Cour pénale internationale est souvent envisagée et perçue comme l’institution du projet cosmopolitique par excellence. Le principe du droit international pénal est lui-même un dépassement du principe de Souveraineté, dans la mesure où il prétend rendre possible le jugement des titulaires de la Souveraineté. Or, en droit international classique prévaut le principe de l’immunité de juridiction, qui découle de l’impossibilité pour les Etats de se juger entre pairs. Dépasser ce principe exigeait de procéder à une double révolution juridique : reconnaître une catégorie de crimes internationaux affectant l’Humanité dans son ensemble, et non plus les seuls intérêts étatiques ; admettre qu’un tribunal puisse se faire juge au nom de l’humanité, pour punir les auteurs de tels crimes. Les notions de crime international et de justice pénale internationale, on l’a souvent dit, transpercent le voile de la Souveraineté pour rechercher la responsabilité de l’auteur de l’acte, quelle que soit sa qualité.

Les développements de ces vingt dernières années ont permis d’effectuer successivement ces deux révolutions. Tout d’abord avec des institutions ad hoc – les deux tribunaux pénaux créés par le Conseil de sécurité des Nations Unies (Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et Tribunal pénal pour le Rwanda) ; ensuite avec la création de la Cour pénale internationale (CPI) en 1998. Le Statut de la CPI est innovant à de nombreux égards. Un des principes centraux de la nouvelle institution réside notamment dans le principe de complémentarité. Ce principe signifie essentiellement que les juridictions nationales disposent d’une compétence prioritaire pour juger les crimes internationaux visés par le Statut. Mais cette priorité demeure conditionnée au constat, par la Cour, de la volonté et de la capacité des instances nationales à procéder à ce jugement. Autrement dit, les autorités nationales ne peuvent imposer leur compétence à la Cour ; c’est la Cour qui impose sa compétence aux Etats, lorsqu’elle juge que les crimes qui ont été commis risquent de rester impunis, faute pour les Etats d’avoir pris les mesures nécessaires pour les juger. Ce principe de complémentarité a un corollaire fondamental : c’est qu’il met en quelque sorte l’action judiciaire des Etats sous la surveillance de la Cour. Le premier Procureur de la Cour a ainsi développé le concept de complémentarité positive qui vise à inciter activement les Etats à adopter toutes les mesures nécessaires pour lutter efficacement contre les auteurs de crimes internationaux.  Au regard des limites intrinsèquesdes tribunaux internationaux, y compris de la CPI, il devient de plus en plus clair que la mise en oeuvre de la justice pénale internationale passera de plus en plus par des tribunaux pénaux nationaux ou des tribunaux hybrides, sur des bases de compétence classiques ou extraterritoriales.

Peut-on aller jusqu’à envisager un système global de justice internationale, avec une articulation étroite entre l’action des juridictions nationales et l’action de la CPI, de manière à créer un réseau de compétence tel que les criminels ne puissent trouver aucun refuge à la surface du globe ?